ÇA RESTE ENTRE NOUS, MAIS JE PRéFèRE LA VIE EN RéGION

Chaque mois, la chroniqueuse Manal Drissi nous fait part d’un sujet, d’un événement, d’une tendance qui l’exaspère au plus haut point. Sarcasme et vulnérabilité au rendez-vous.

Je serai toujours Montréalaise, même si j’ai quitté la ville pour la campagne et que ça a changé ma vie. Je crois d’ailleurs que c’est en la quittant que j’ai compris à quel point je vibrais à la fréquence du 514. Mon éducation québécoise d’enfant immigrante s’est faite sur une île entre les berges du Saint-Laurent, au fil des stations de métro et des univers éclectiques sur lesquels elles débouchent.

Et même loin de Montréal, je demeure imprégnée par son battement singulier, sa pluralité humaine, son caractère, ses expressions. Je l’ai parcourue 10 000 fois et elle réussit encore à me faire la regarder plutôt que juste la voir. Je l’aime, ma ville, et le plus beau cadeau que je me suis fait, c’est de la quitter.

Les quartiers où ma famille à revenu modeste avait logé se sont embourgeoisés, mon loyer trop cher me tenait en otage et mon anxiété prospérait trop bien au milieu des embouteillages. Faut croire que j’étais faite pour avoir la forêt sur le pas de ma porte. J’étais mûre pour ralentir la cadence, bûcher du bois pour l’hiver, apprendre comment fonctionne un puits artésien et croiser des chevreuils en allant à l’épicerie. Ici, le rythme des choses se fiche de notre empressement; chaque saison nous engouffre. Ici, je n’ai pas l’impression de n’en faire jamais assez.

Je connais des gens qui y seraient malheureux. Je vois la veine de leur tempe pulser quand je leur dis que je ne peux pas me faire livrer du resto et que les colis prennent plus longtemps à arriver, même si je suis juste à 90 minutes du Stade olympique.

Ici, le rythme des choses se fiche de notre empressement; chaque saison nous engouffre. Ici, je n’ai pas l’impression de n’en faire jamais assez.

Mais à en croire les articles qui sortent périodiquement sur «l’exode» des jeunes familles hors des centres urbains, la campagne est un mode de vie en plein essor, malgré ce qu’il faut laisser derrière: le transport collectif, la variété de restaurants, de bars, d’activités culturelles en constant roulement. La ville sert bien les gens hyperactifs et les social butterflies.

Il y en a qui se résignent à la quitter par manque d’options viables ou par quête d’espace pour élever une famille. Et il y en a — et j’en suis — pour qui le contact quotidien avec la nature n’a pas de prix. Enfin, c’est une façon de parler, parce que le contact avec la nature se paye bel et bien. Ce n’est pas toujours un choix de quitter la ville, mais ce n’est pas une option envisageable pour tous pour autant.

Le prix moyen pour se loger à la campagne est moindre qu’en ville, mais les appartements locatifs s’y font toutefois plus rares et l’accès à la propriété est notoirement difficile pour ma génération. Comme beaucoup, j’ai dépendu de l’aide de mes parents, après avoir essuyé plusieurs refus de la part des banques. C’est parce qu’on mange des toasts à l’avocat, vous diront ceux qui ont jadis acheté une maison avec un seul salaire et sans enquête de crédit pour un prix qui, en dollars d’aujourd’hui, ferait rêver beaucoup de jeunes familles.

En réalité, dans l’état actuel des choses, même une escapade de quelques jours dans la nature peut s’avérer trop coûteuse pour des citadins. C’est d’ailleurs ce que je retiens surtout de mon exil en forêt: la nature québécoise est une richesse mal distribuée. Et quel gâchis de devoir se priver de la vastitude et de la richesse de notre territoire, et de toute la douceur qu’il est capable de nous insuffler. 

Manal Drissi est une chroniqueuse et une autrice exilée dans la forêt.

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